Depuis 2009, la Cour des Comptes alerte l’état français sur l’absence de rentabilité socio-économique, les incertitudes liées aux coûts et l’inexistence du financement du projet Lyon Turin. La Cour dénonce la trajectoire financière insoutenable de l’AFITF l’Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France chargée de financer le Lyon Turin.
Les responsables politiques restent sourds aux rapports et référés de 2009, 2012, 2014, 2016, 2017 et enfin 2018.
Enfin pas tout à fait sourds sur la forme car le nouveau gouvernement pour éviter de peser sur les ressources de l’AFITF recherche un autre mode de financement. En 2018, la Cour des Comptes insiste donc « sur les risques liés à la constitution d’une dette éparpillée pour le financement des grands projets d’infrastructures. »
Cet article liste les différentes interventions de la Cour des Comptes depuis 2009. C’est un peu fastidieux mais révélateur de la toute-puissance du lobby pro Lyon Turin dont l’un des éminents membres expliquait en réunion publique que cet acharnement contre le Lyon Turin s’explique par le fait que la Cour des Comptes déteste le ferroviaire !!!
Note des Chamois : La Cour des Comptes juge les comptes des comptables publics, contrôle et veille à la régularité, à l’efficience et à l’efficacité de la gestion de l’argent publique, certifie les comptes de l’Etat et évalue les politiques publiques et informe les citoyens.
Février 2009
Dès 2009, la cour des comptes alerte sur les « enjeux financiers considérables » de l’AFITF et sur la rentabilité socio-économique parfois incertaine de certains projets d’infrastructures. Le Lyon Turin était estimé à 19 Md d’euros
Note des chamois : L’AFITF, l’agence de financement des infrastructures de transport de France est un établissement public de l’Etat chargé d’apporter la part de l’Etat dans le financement des opérations d’infrastructures de transport.
« L’agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) est un établissement public de l’Etat créé à la suite d’une décision du comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 18 décembre 2003. Elle est chargée d’apporter la part de l’Etat dans le financement des opérations d’infrastructures de transport, à partir des dividendes versés par les sociétés publiques d’autoroutes, de certaines taxes ou redevances, d’éventuels concours budgétaires et d’un recours à l’emprunt. »
« Les enjeux financiers sont considérables, particulièrement dans une période où prospèrent des projets d’infrastructures d’un coût très élevé (plusieurs milliards, voire dizaine de milliards d’euros chacun91) et d’une rentabilité socio-économique parfois très incertaine. »
« 91) A titre d’exemples, estimations initiales : Canal Seine Nord 4 Md€ ; liaison Lyon Turin 19 Md€. Par comparaison, la valeur globale des 7 000 km d’autoroutes publiques dont la concession a été privatisée en 2006 a été estimée à 24 Md€ et leur cession a rapporté 14,8 Md€ à l’Etat. »
La cour des Comptes s’interroge « sur l’ampleur des créations, envisagées dans le schéma national des infrastructures de transport, de nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse qui ne sont pas budgétairement soutenables et dont ni la rentabilité financière, ni la rentabilité socio- économique, ni l’intérêt environnemental ne sont établis. Elle rappelle qu’il est nécessaire d’accorder la priorité à la modernisation et à l’entretien du réseau ferroviaire existant. » La partie française du Lyon Turin était estimée à 11 Md d’euros
« En matière ferroviaire, le programme privilégie l’extension du réseau à grande vitesse avec 14 nouvelles lignes (2 000 km) à construire d’ici 2020 et 2 500 km mis à l’étude. Les opérations déjà lancées ne concernent que trois des 14 lignes prévues. D’autres projets très coûteux sont en passe d’être engagés comme les liaisons Lyon Turin (dont le coût global pour la seule partie française est supérieur à 11 Md€) ou, en matière fluviale, le canal Seine-Nord (4,2 Md€). »
« Les méthodes d’évaluation socio-économique et financière sont plus anciennes et plus élaborées pour les investissements publics, notamment dans les secteurs des transports et de l’énergie, que pour la plupart des autres politiques publiques.
Pour autant, les méthodes pratiquées dans ces domaines, outre qu’elles sont insuffisamment transparentes, ne guident pas toujours efficacement les décisions. Les évaluations a priori sont trop souvent réalisées par les maîtres d’ouvrage, sans contre-expertise indépendante : elles mettent parfois en évidence une forte rentabilité socio-économique et compensent une faible rentabilité financière par des subventions. La Cour a montré dans plusieurs rapports, par exemple sur le réseau ferroviaire en 2008, que la rentabilité socio-économique de beaucoup d’infrastructures s’avère a posteriori nettement inférieure aux estimations a priori. »
« Par ailleurs, l’absence de hiérarchisation des projets a conduit la Cour, dans une communication de 2011 sur l’impact budgétaire et fiscal du Grenelle de l’environnement, à recommander de procéder à des arbitrages tenant compte de la situation des finances publiques. Elle s’est plus particulièrement interrogée sur l’ampleur des créations, envisagées dans le schéma national des infrastructures de transport, de nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse qui ne sont pas budgétairement soutenables et dont ni la rentabilité financière, ni la rentabilité socio- économique, ni l’intérêt environnemental ne sont établis. Elle a rappelé qu’il était nécessaire d’accorder la priorité à la modernisation et à l’entretien du réseau ferroviaire existant. »
Référé sur le projet de liaison ferroviaire Lyon Turin. La Cour indique « que d’autres solutions techniques alternatives moins coûteuses ont été écartées sans avoir toutes été complètement explorées de façon approfondie» et que sur ce corridor 6, « d’autres états (Slovénie et Hongrie) ont opté, pour des raisons financières, pour une modernisation progressive des lignes existantes. »
La cour rappelle toutes les études et rapports qui recommandaient de différer le projet. « Pour la Cour, le pilotage de cette opération ne répond pas aux exigences de rigueur nécessaires dans la conduite d’un projet d’infrastructure de cette ampleur et de cette complexité. »
La Cour dénonce la forte augmentation des coûts prévisionnels notamment du programme d’études et travaux préliminaires et évoque un chiffrage de la section transfrontalière à 10.26 Md d’euros (valeur 2010) soit un surcoût de 1.9 Md d’euros. Le coût global du projet est estimé par la direction générale du Trésor à 26.1 Md d’euros.
La cour évoque les prévisions de trafic revues à la baisse, une rentabilité socio-économique du projet faible voire négative, relève la non existence du financement puis recommande de considérer une solution d’amélioration de la ligne existante.
Dans ce document la Cour analyse l’apport de La Grande Vitesse pour la collectivité et relève qu’« il ne reste en fait pratiquement aucune ville européenne qui soit à la fois d’importance suffisante en termes de population et suffisamment proche pour justifier d’une liaison TGV par rapport à la France. Cette trop faible rentabilité socio-économique est par exemple manifeste pour la liaison Lyon-Turin, que la Cour a critiquée dans son référé du 1er août 2012. »
La Cour recommande une contre-expertise indépendante des hypothèses « optimistes » permettant de conclure à la rentabilité des projets notamment pour le Lyon Turin et rappelle l’énorme impact du budget du Lyon Turin sur les capacités de financement de l’AFITF.
« Concrètement, RFF ne peut investir sur un projet, au maximum, que le montant des recettes nettes actualisées que lui rapportera l’infrastructure sur une période de cinquante ans. Toutefois, il s’agit d’investissement dans des projets dont le bilan financier ne sera connu qu’ex post, et qui reposent sur des hypothèses de réalisation future. Il est donc facile, pour l’État actionnaire et tutelle de RFF, de faire reposer les calculs sur des hypothèses optimistes (trafics et recettes élevés, coûts de construction contraints) permettant de conclure que le projet sera rentable et que RFF peut contribuer significativement à son financement. C’est pourquoi ces hypothèses, et, plus généralement, le calcul de la contribution de RFF pour chaque projet de LGV devraient faire l’objet d’une contre-expertise, réellement indépendante du ministère des transports et de RFF, afin d’informer l’ensemble des parties prenantes de la validité de l’évaluation financière du projet. C’est ce que la Cour avait déjà recommandé pour la liaison Lyon-Turin. »
« La commission « Mobilité 21 » n’a pas pris en compte le poids financier très lourd de certaines infrastructures, notamment le projet de tunnel de base de la liaison ferroviaire Lyon-Turin ou encore le projet de canal Seine Nord Europe. La prise en compte de l’un ou l’autre de ces projets, reconnaissait la commission, impliquerait en effet qu’« aucune possibilité de financement d’autres projets par l’AFITF ne serait plus alors ouverte avant 2028 ou 2030, sauf si de nouveaux moyens étaient dégagés ». Or, récemment, a été réaffirmée « la volonté du gouvernement d’engager la réalisation du canal » Seine-Nord Europe. Le Premier Ministre a ainsi souhaité que « le chantier commence en 2017 et s’achève en 2023 »
Référé sur l’AFITF L’agence de Financement des Infrastructures de Transport de France. La cour dénonce « une accumulation incontrôlée de besoins de paiement, dont le financement n’est pas assuré à moyen terme » et indique que cette trajectoire serait insoutenable en cas de mise en œuvre de deux grands projets dont le Lyon Turin.
« Mais la trajectoire de l’AFITF serait encore moins soutenable en cas de mise en œuvre des grands projets nouveaux que sont le tunnel ferroviaire Lyon-Turin et le canal Seine-Nord. Ces deux projets, dont l’intérêt et le financement d’ensemble ne peuvent se déduire de la seule hypothèse de cofinancement européen, paraissent largement hors de portée budgétaire de l’agence, non seulement jusqu’en 2019, mais également au-delà. »
Il en résulte que si l’État décide d’aller plus avant dans l’engagement et le financement des grands projets précités, il devra dégager, entre 2017 et 2019, entre 1,6 Md€ et 4, 7 Md€ en plus des ressources cadrées par la loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2014 à 2019 pour couvrir les dépenses liées aux engagements de l’AFITF. La Cour souligne le caractère très préoccupant de cette perspective pour l’équilibre futur des finances publiques.
Dans le rapport sur le budget de l’état 2016, la cour alerte sur « une trajectoire irréaliste pour les investissements d’infrastructures » incluant le Lyon Turin.
«Le financement par l’État des investissements d’infrastructures est porté par l’Agence de financement des infrastructures de France (AFITF). Les charges à payer de l’AFITF fin 2016 (461 M€) affichent une forte baisse (- 285 M€) grâce à un redéploiement de crédits en fin d’exercice qui a permis de réduire la dette de l’établissement vis-à-vis de SNCF-Réseau. En revanche, ses restes à payer (12,3 Md€ fin 2016), qui avaient diminué entre 2013 et 2015, ont recommencé à augmenter en 2016 (+ 478 M€), alors qu’ils n’incluent pas encore, ou de façon seulement marginale, les engagements correspondant aux contrats de plan État-région 2015-2020 (6,9 Md€ pour la part État du volet « mobilité multimodale ») et aux projets de construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin et du canal Seine Nord Europe. »
« La LPFP 2014-2019 est construite sur l’hypothèse d’un plafond annuel de dépenses de l’AFITF de 1,9 Md€ par an sur 2015-2017. Dans un référé du 10 juin 2016, la Cour a mis en évidence que l’AFITF ne pourrait absorber ces nouveaux engagements et le renouvellement de ses dépenses récurrentes. »
La cour insiste « sur les risques liés à la constitution d’une dette éparpillée pour le financement des grands projets d’infrastructures. » et réitère son inquiétude sur la trajectoire financière de l’AFITF sans les décisions d’annulation des projets Seine Nord et Lyon Turin.
A propos du Lyon Turin, la Cour rappelle qu’elle a relevé à plusieurs reprises « l’absence de rentabilité socio-économique et les incertitudes quant à son coût et son financement » et réitère que la pertinence du projet n’est toujours pas établie.»
De fait, le 31 mars 2018, Elisabeth Borne, Ministre des Transports, explique devant le Sénat que le financement de la section transfrontalière n’existe pas encore et ne proviendra pas de l’AFITF.
E Borne : « L’enjeu c’est bien que la réalisation du projet ne vienne pas peser sur les ressources de l’AFITF au détriment des projets d’une dimension plus habituelle ou en tous cas des projets qui sont utiles pour le quotidien de nos concitoyens. Et donc c’est dans cet état d’esprit qu’une réflexion a été engagée avec nos collègues italiens pour mettre en place une société de projet qui tirerait ses ressources notamment des tarifications existantes sur les autoroutes et donc ne viendrait pas obérer les capacités de financement pour les autres projets. »
« Au total, sauf décisions d’annulation pure et simple des projets Seine-Nord et Lyon-Turin en 2018, on peut estimer que les trajectoires de dépenses de l’AFITF évaluées par le rapport du conseil d’orientation des infrastructures sont sous-estimées pour un montant d’environ 3,2 Md€ 22 (sur 12,2 Md€, soit +26 %) pour la période de la LPFP 2018-2022.»
« La soutenabilité de la mission pourrait également être obérée par les contentieux en cours, ainsi que par plusieurs risques pouvant peser lourdement sur ses dépenses dans les années à venir et compromettant la capacité du ministère à respecter la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques 2018-2022. C’est ainsi le cas des conséquences de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim (avec de réelles incertitudes sur le montant des compensations), de la résiliation de la concession de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, des arbitrages à venir sur les conclusions du conseil d’orientation des infrastructures et leur traduction sur la trajectoire de l’AFITF, des contrats de plan État-région 2015-2020, et des grands projets d’infrastructures de transport Lyon-Turin et Seine-Nord. La Cour insiste sur les risques liés à la constitution d’une dette éparpillée pour le financement des grands projets d’infrastructures. Enfin, bien que ne pesant pas sur les crédits de la mission, mais ayant une incidence sur la trajectoire de dépenses de la LPFP 2018-2022, la Cour est attentive aux conséquences des arbitrages sur le recalage du calendrier du projet du Grand Paris Express porté par la Société du Grand Paris. »
« Au total, sauf décisions d’annulation pure et simple des projets Seine-Nord et Lyon-Turin en 2018, on peut estimer que les trajectoires de dépenses de l’AFITF évaluées par le rapport du conseil d’orientation des infrastructures sont sous-estimées pour un montant d’environ 3,2 Md€ 22 (sur 12,2 Md€, soit +26 %) pour la période de la LPFP 2018-2022 »
« Le projet ferroviaire Lyon-Turin, dont la Cour avait relevé l’absence de rentabilité socioéconomique et les incertitudes quant à son coût et son financement dans un référé adressé au Premier ministre le 1er août 2012, a franchi une nouvelle étape avec l’adoption de la loi du 1er février 2017 autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne signé le 24 février 2015 pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. Le coût prévisionnel des travaux définitifs de la seule section transfrontalière est estimé, d’après les données transmises par le ministère, à 8,6 Md€ HT en valeur janvier 2012, dont 2,2 Md€ à la charge de la France (AFITF). Par ailleurs, à cette première dépense doit être ajouté le coût des accès français évalués, pour les deux premières étapes à 7,7 Md€ en valeur 2011. »
« La montée en puissance de deux grands projets très coûteux pour les finances publiques et dont la pertinence n’est toujours pas établie : le projet ferroviaire Lyon-Turin et le projet fluvial Seine-Nord Europe. »